Par cette belle mais calme journée ensoleillée, Ana s’était calée sur un coin du pont afin d’entretenir son matériel de pêche : harpons à affuter, filets à rafistoler, on n’attrapait pas la poiscaille avec de la camelote !

Alors qu’elle était occupée à poncer le manche d’un de ses harpons, le chef Kevin pointa le bout de son nez pour se lancer dans une tirade enflammée sur la recherche de trésors…
*Chic, de l’action !* pensa aussitôt la pirate, qui laissa aussitôt tomber ses filets pour applaudir.
Se hissant debout en s’appuyant sur le manche qu’elle était en train de travailler, Ana s’avança au milieu de ses confrères pour exposer ses théories.
C’est pas que, mais à passer des heures à tresser des bouts de ficelle, ça laisse du temps pour réfléchir…

J’ai ma petite idée pour les recherches, lança-t-elle d’une voix haute et claire. Vous qui êtes ici depuis longtemps, vous avez déjà fouillé l’île de fond en comble pour les trésors, non ? Ce qui veut dire que sur les terres, les possibilités sont limitées ! Reste bien les territoires indiens ou le rocher de Crochet qui a peut-être mis un petit pécule de côté avant de mettre les voiles, mais ça impliquerait de faire de la bisbille de suite, alors que le chef a parlé de recherches…
Moi je pense qu’il y a une piste qui mérite d’être explorée, c’est celle des eaux ! Ben oui, c’est bien beau le plancher des vaches, mais qui nous dit qu’il n’y a pas un ou deux rafiots qui ont coulé avec leurs coffres ?

La pirate marqua une pause avant de reprendre :
Voici ce que je propose : une chasse à la sirène… On a tendance à les ignorer, les demi-sardines, mais en même temps ce sont elles les commères du monde du dessous, s’il y a des choses intéressantes qui s’y cachent, ce sont elles les mieux placées pour le savoir ! On part avec filets, lignes et cordes, on en capture quelques unes, et si elles veulent pas parler, PAF ! On en embroche une – sur ces mots, Ana planta son harpon entre deux lattes de bois du pont- ça déliera les langues des autres… Et pis moi j’ai jamais goûté de queue de sirène farcie rôtie, j’serais curieuse de voir si c’est goûtu…

Azuria était sur le pont, calée contre un baril de poudre à canon - à moins que ce ne fut du rhum - quand Kevin s'était lancé dans son discours censé leur donner l'envie et le courage d'aller chercher le trésor. Elle n'avait pas porté plus attention que ça à leur supposé chef, continuant à lisser tendrement les plumes de Readan. Les cris de joies des pirates ne suffirent pas à lui faire lever les yeux. Jusqu'à ce que cette idiote prenne la parole.

Rien que le fait qu'Ana O'Reilly ouvre la bouche faisait bouillir son sang. Depuis quand était-elle capitaine de ce navire. Après tout, c'était Azuria qui s'était attirée les honneurs de Crochet, à son apogée. Si une femme devait commander ce navire, c'était bien elle. Même si elle n'était pas toute à fait certaine de le vouloir. Elle se contenta pour l'instant de secouer tristement la tête, n'écoutant que d'une oreille le discours de cette pimbêche obsédée par la propreté.

Ce ne fut que lorsqu'elle entendit parler de chasse aux sirènes qu'Azuria se révolta. Alors que la blonde saisissait son harpon, la rousse grimpa sur le tonneau qui lui avait servi jusqu'ici d'accoudoir.

- Attendez une seconde!! Vous ne pouvez pas!!

Les pirates se retournèrent vers elle comme ils l'avaient fait quelques secondes auparavant avec Ana.

- Les sirènes sont innocentes, elles sont neutres, dans cette guerre. Les tuer ne nous servirait à rien!!

La foule resta silencieuse jusqu'à ce qu'un des pirates ne grogne:

- Depuis quand cela nous préoccupe-t-il? Nous sommes des pirates!!

Encore des hourra. Azuria soupira et croisa le regard triomphant d'Ana. Les deux femmes et leur égo respectifs se livraient une guerre plus farouche encore que celle de Kevin et des indiens. La rousse se redressa fièrement

- Pourquoi la suivez vous? Souvenez vous de James Crochet!! A qui a-t-il accordé sa confiance?! A moi!! Alors pourquoi écouter Ana O'Reilly!! Soyez MON équipage! A mes ordres!

Les pirates ne savaient que penser de ces deux tigresses prêtes à sauter l'une sur l'autre. Aussi, ils se contentèrent de regarder Azuria, puis Ana. La pirate au corbeau lança un regard méprisant à celle qui lui faisait face. Son attitude respirait le défi. Elle voulait voir l'autre réagir à cet affront.

Ana avait à peine eu le temps de fermer la bouche que la rouquine de service en profita pour rajouter son grain de sel, ce qui ne manqua pas de faire rire la pirate à gorge déployée.

Alors ÇA c’est de l’argument valable ! BRAVO ! S’exclama-t-elle en applaudissant théâtralement. Donc ton seul argument valable est que tu as été jadis la petite chouchoute du pirate qui est parti pleurer les jupes de sa mère tout seul dans son gros caillou ? J’en suis toute pantoise…

S’adressant aux autres pirates, elle embraya : Messieurs, je vous en prie, que ceux qui ont envie de suivre les conseils de Miss « favorite du capitaine pleurnichard » et d’aller prôner la paix et l’amour en distribuant des fleurs aux habitants de l’île se joignent à elle, en attendant moi – fit-elle en dégageant son harpon du ponton – Je m’en vais débusquer des trésors, alors qui aime la richesse me suive!

Ana se dirigea alors vers l’arrière du pont, là où elle avait stocké ses filets, mais ne manqua pas de frôler de très près Azuria, et s'attarda juste assez pour lui glisser :

Alors ma jolie, c’est plus dur hein de se faire une place quand on ne peut plus passer sous le bureau du chef…
Pas de pot pour toi cocotte, mais attends un peu, d’ici 3 ou 4 ans notre Kevin commencera enfin à être turlupiné par son entrejambe, tu pourras alors recommencer à écarter les cuisses et reprendre de l’importance…

La blonde en était persuadée, pour qu'une femme sur un équipage se targue à se point de ses relations avec l'ancien chef et d'avoir été sa "favorite", c'est qu'il y avait forcément anguille sous roche... Ou plutôt anguille dans coquillage, si vous voyez ce que je veux dire.
Quoi qu'il en soit, Ana ne méprisait rien tant que ces femmes qui visaient le niveau en dessous de la ceinture pour gravir les échelons... Pour une courtisane passait encore, mais une pirate! C'était à cause de ce genre de vicieuses que les femmes avaient une telle mauvaise réputation sur les navires...

Une chasse au trésor, enfin ! Tiago jubilait, il allait pouvoir quitter ses brosses, et cesser de récurer la moindre parcelle de bois de ce rafiot pour enfin s’adonner à une activité s’approchant de la piraterie !

Bon il aurait bien aimé partir en mer, voguer à l’inconnue et piller le premier navire passant a porté de canon, mais on ne pouvait pas tout avoir, et donc une petite ballade en quête de trésor était déjà un bon début.

C’est donc avec un certains enthousiasme que le flibustier amateur vérifia son armement, et alla rejoindre le petit attroupement formé autour du jeune capitaine. Il fut donc spectateur du débat en cours, qui semblait être assez animé.

Bizarrement le corsaire ne fut pas surpris de constater que les deux principaux protagonistes de cette « palabre » étaient les deux jeunes femmes du navire. Aussi il décida de se faire spectateur, et surtout de ne pas s’interposer, connaissant les deux énergumène, ainsi que leurs caractères qui avait pour seul point commun d’être mauvais.

Il écouta donc, amusé, la cause de cette… prise de bec. Miss maniaque avait comme à son habitude proposée de se lancer dans une boucherie ou une poissonnerie, difficile de dire quand à l’origine des futures victimes, afin d’obtenir des informations pour trouver des trésors. Plus sage, la deuxième demoiselle n’était pas du même avis, ces créatures étant neutres.

Maintenant Ana répliquait par des sarcasmes dont elle seule connaissait le secret, visant sans doute un point relativement sensible qui n’allait pas aidé Azuria à se calmer, bien au contraire.

Tiago ne voyait maintenant qu’une échappatoire, le bain de sang, vu leurs caractère il était persuadé que cela allait ce terminer par un bonne rixte…

« Pfffff voilà pourquoi on accepte pas de femmes sur un navire, c’est pas lié au malheur mais au bordel qu’elles foutent… »

Ce sont les éclats de rire des autres pirates qui firent réaliser que le flibustier avait pensé à voix haute. Cette pensée là ne devait pas, mais absolument pas sortir de sa tête.

Tiago écarquilla les yeux s’imaginant déjà dans une petite boite de bois dérivant avec gravé dessus au couteau « ci-gît le roi des gaffeurs »…

Azuria avait d'abord pensé à lui crever les yeux. Quoi que lui arracher la langue semblait être une alternative sympathique. Elle, écarter les cuisses pour arriver à ses fins... Elle aurait vraiment tout entendu.

"Évidemment, cette fille est tellement maniaque qu'elle n'approcherait pas un seul de nos hommes à moins de vingt mètres... Elle doit pas être du genre à connaître les plaisirs de la chaire..."

Elle réfléchissait à la meilleure manière de lui faire ravaler son venin quand un des hommes dans son dos lâcha d'un air déterminé.

« Pfffff voilà pourquoi on accepte pas de femmes sur un navire, c’est pas lié au malheur mais au bordel qu’elles foutent… »

A l'instant même, Azuria mit sa rivale de côté et se retourna d'un bond vers celui qui avait osé mentionner leur légère tendance à ne jamais se mettre d'accord. Elle secoua la tête, exaspérée

- Je ne suis pas sûre d'avoir compris, l'avorton... Tu as insinué que nous n'étions là que pour... "foutre le bordel"?

Si on prenait du recul, on pouvait considérer ce pirate comme un grand courageux. S'interposer entre ses deux louves défendant corps et âmes leur égos respectifs relevait sans aucun doute de la bravoure. Ou de la stupidité. Dans cette situation, la deuxième possibilité était sans nul doute la meilleure.

- T'es-tu déjà demandé où serait ce fichu rafiot si aucune femme n'y avait mit les pieds.

Elle aurait pu préciser à O'Reilly qu'elle ne voulait pas l'entendre, mais ça n'aurait été que jeter de l'huile sur le feu. Et Azuria valait encore bien plus que cette gueuse.

Alors qu’Ana se préparait tout naturellement à se jeter sur la sale rouquine pour lui arracher les yeux, un imprévu se glissa entre elle et son futur punching-ball. L’imprévu en question était blond avec des poils au menton et l’air viril d’un gamin de 15 ans… Tiago, qui déboulait dans la conversation avec la classe et la délicatesse d’une marchande de poisson un jour de marché, avec en prime les propos d’une intelligence hors du commun.

« Pfffff voilà pourquoi on accepte pas de femmes sur un navire, c’est pas lié au malheur mais au bordel qu’elles foutent… »

Bien sur, lorsque deux lionnes s’apprêtent à s’entredéchiqueter il est toujours de bon ton de leur donner un os à mâcher… Enfin, peu de gens seraient assez stupides pour se transformer eux-même dans l’os en question !
Comme dans un film d’horreur, les deux jeunes femmes tournèrent la tête au ralenti vers leur nouvelle cible commune, une lueur carnassière dans le regard.

Comment ça « foutre le bordel » ? Je ne crois pas avoir bien entendu, sous-fifre…
La pirate laissa courtoisement sa collègue aboyer la première avant de commencer à rugir à son tour :
Exactement ! Sans gonzesse sur ce pont ce rafiot aurait coulé depuis bien longtemps ! Ptet qu’on a tendance à gueuler un peu fort, mais c’est pour se faire entendre par des gus dans ton genre ! Regardez-moi ça, à son âge pas foutu de briquer un sol ou de faire quoi que ce soit d’autre correctement ! Si on était pas là pour dresser les incapables dans ton genre, où irait le monde, j’vous l’demande ! brailla-t-elle en assenant un coup de manche de harpon sur la tête du pirate, bien que ce ne soit pas l’envie qui lui manquait de l’embrocher carrément dessus.

Comme le redoutais le flibustier, les deux furies décidèrent de canaliser leurs griefs sur lui.

Il eu le droit à une vision d’horreur, a savoir les deux harpies qui doucement ce tournaient en sa direction, alors que les autre membres de l’équipage émettaient quelques sifflement, un mélange d’un peu d’admiration et de moquerie… Enfin surtout de la moquerie.

Il entendait les autres matelots prendre les paris… Et visiblement il n’était pas donné gagnant.

Les hostilités commencèrent, chacune à leurs tours, comme si maintenant elles étaient les meilleures amies du monde…

Le pirate avait donc décidé de surtout ne plus rien dire, de baisser les yeux et de surtout ne pas empirer la situation.

Ce n’était cependant pas sans compter sur son mauvais caractère. Mes premières réprimandes passèrent, il ce contenta de marmonner dans sa barbe, mais à la deuxième salve d’insulte, il craqua.

« Ha ouais, et ça rime a quoi un bateau pirate tous propre mais sans aucun trésors ! Si vous voulez jouer à la poupée ou vous engueuler comme des chiffonnières, pas de soucis, mais ici vous êtes sur un bateau pirate, alors arrêtez les gonzesses et allons chercher ce p**** de trésor ! »

Voilà c’était sorti. Et le silence qui régnait a présent, même au sein des autres membres de l’équipage, ne faisait que confirmer que le flibustier d’eau douce n’aurait jamais du parler, voir même ce lever ce matin…